J’ai fait un rêve… et si le TramTrain était une réalité.
Pour ceux qui n’ont pas eu l’occasion de le lire, deux de nos adhérentes ont publié à l’automne un article d’anticipation dans le Mefia Te, le journal de la Basse-Marche. Que seraient nos vies avec le TramTrain Limousin? Voici leur réponse.
J’ouvre un œil. Je m’étire. C’est pas glorieux. Je suis dans mon petit studio et j’aperçois juste au bout de mon lit la montagne de vaisselle qui dépasse de l’évier de la cuisine. Enfin de la kitchenette. J’ouvre une oreille, pas plus glorieux. Paris s’éveille, j’entends les premiers bus faire vibrer mes carreaux et les derniers fêtards bourrés s’engueuler sur le trottoir. Je tends mon bras pour fouiner sur ma table de chevet. J’ouvre la pochette qui contient mes billets de trains. Yes, là c’est glorieux. Départ à midi pour deux semaines de vacances en Basse-Marche. Le pied !
J’en avais marre de cette vie à la parisienne ; de ce studio miteux en bord de boulevard dont je ne peux me débarrasser parce que, même avec mon salaire confortable, je peux pas me payer mieux intramuros ; du bruit, de l’odeur, de la chaleur étouffante de la grande ville. Alors je suis allée voir l’agence de voyage en bas de chez moi, et je leur ai demandé de m’envoyer au vert pendant mes vacances, là où je n’entendrai plus que le silence et, à la limite, les vaches qui pètent ; où je trouverai de l’herbe fraîche sous les arbres plutôt que du bitume bouillant ; où j’aurai des collines en toile de fond pour des après-midi de lecture.
L’employée de l’agence m’a sorti un truc complètement inattendu. Elle m’a expliqué qu’une nouvelle destination était ouverte depuis que la Haute-Vienne s’était équipée d’un réseau de TramTrain, une sorte de tramway qui sillonne la campagne. Cette infrastructure permet désormais d’envoyer des Parisiens sans voiture, comme c’est mon cas, dans une soixantaine de petits villages. Et même de leur proposer des séjours en itinérance de village en village ! Tout de suite, je lui ai demandé le prix. Je voyais l’attrape touriste arriver. Elle m’a expliqué que les Haut Viennois se déplaçaient aussi grâce à ce train, et que la nuit il servait même à transporter du fret. Du coup, c’était un moyen de transport complètement abordable. Suite à ça, elle m’a fait miroiter les petits coins baignade au bord des rivières, les balades à vélo sur les routes ombragées par les chênes, les sentiers de randonnée présents autour de chaque village, les chambres d’hôte et les gîtes en vieilles pierres tous plus charmants les uns que les autres. Le séjour, déjà pas cher du tout, était à moitié prix, car il leur fallait des cobayes. J’ai dit banco !
Me voilà donc à la gare d’Austerlitz. C’est parti pour 2h30 de train jusqu’à Limoges, puis 20 minutes du fameux TramTrain pour aller à Vaulry. D’habitude, mon premier jour de vacances, c’est trottinette électrique, métro, RER, salle d’attente, guichet d’enregistrement, salle d’embarquement, passerelle, siège, ladies and gentlemen, welcome aboard, voulez-vous du sucre dans votre café ?, désolée madame c’est trop tard pour aller aux toilettes, car nous sommes en train d’atterrir, passerelle, toilettes, bagages, douane, taxi. Mais là, j’ai trois heures entre Paris et Vaulry pour dé-com-pres-ser. Trois heures pour roupiller. Trois heures pour lire. Trois heures pour comater devant le paysage.
Arrivée à Limoges, je découvre la gare. Elle est magnifique. Je me perds dans les vitraux Art Nouveau et j’en oublie … ma correspondance ! No stress, ce qui est cool avec le TramTrain, c’est que, comme le RER, il y en a toutes les demi-heures. Une fois à bord, j’hallucine. En fait, c’est pas du tout comme le RER. C’est carrément plus confortable ! Déjà parce qu’on a tous une place assise, et que ça ne sent pas le chacal. Le train est plein, mais pas bondé. Ensuite parce que le paysage est vraiment magnifique. On a l’impression de rouler en pleine forêt. Les feuilles des arbres font scintiller la lumière à l’intérieur du wagon. Par la fenêtre j’aperçois des étangs toutes les cinq minutes, avec des pontons ou des petites cabanes.
Les gens sont super détendus et on dirait qu’ils se connaissent tous. Quand un nouveau passager monte à bord, il y a toujours quelqu’un pour le saluer. Je m’aventure à demander à un voisin comment c’est possible qu’autant de gens se connaissent sur un territoire aussi vaste. Il rit et me répond: « Ah ça ! C’est l’effet TramTrain ! Depuis que le service est en place, on est nombreux à l’utiliser pour nos déplacements quotidiens. Moi, par exemple, j’habite à Limoges et je suis prof au collège du Dorat. Je prends le train tous les jours. Ça me permet de bosser sur l’ordi plutôt que m’énerver derrière mon volant ! Le petit bonhomme, là-bas, c’est Nico. Lui, je ne le vois dans le train que le vendredi soir. Quand je rentre du boulot, lui descend à Limoges pour son entraînement de basket. Et comme je suis prof de sport, on s’entend pas mal. Et la dame d’un certain âge, tout au fond, elle s’appelle Josette. Elle vit seule à Bellac la semaine, mais passe les week-ends à Nieul chez sa fille. Avant, quand il n’y avait que le TER et le bus, ce n’était pas possible, car il y avait très peu de départs, et sa fille a des horaires de boulot décousus. Maintenant, avec un train toutes les demi-heures, elle peut s’adapter. Donc finalement, je ne la vois pas si souvent, mais chaque fois qu’on se croise ça nous donne une bonne occasion de papoter. C’est vrai que sur un territoire comme le nôtre, où on est assez peu nombreux, il faut l’avouer, quand on croise régulièrement des gens dans le train, on finit forcément par discuter ensemble un jour ! ».
Je descends à la gare de Vaulry. J’ai une bonne demi-heure de marche qui m’attend, mais c’était mon choix. J’aurais pu m’arrêter dans une des chambres d’hôtes du village, y en avait pleins. Apparemment, depuis que le TramTrain ramène des touristes, ça pousse comme des champignons, tout comme les bistrots et les petites épiceries. Mais j’ai préféré prendre mon sac de rando et choisir la plus lointaine, celle qui est en haut du bourg, perchée sur les flancs des Monts de Bond. J’emprunte une impasse qui monte raide. Je quitte progressivement les chênes majestueux pour m’enfoncer dans une forêt de châtaignier. Je crache un peu mes poumons, mais c’est ce que je suis venue chercher. J’arrive finalement au gîte. Je me retourne et vois le soleil se coucher sur le village de Vaulry en contrebas. J’ai une vue magnifique sur toute la vallée. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté… Et à moins de 3h de Paname en prime.
Le lendemain matin, je pars pour la « ville ». C’est Samedi, je pars faire le marché à Bellac. Marcher sans être emportée par la foule, quelle liberté ! Je saute dans le TramTrain et arrive, dix minutes plus tard en gare de Bellac. On m’indique la place du marché. Plus j’avance, et plus j’aperçois de silhouettes. Pitié, ne me dites pas que c’est jour de manif’, moi j’avais demandé une matinée tranquille sur un petit marché de campagne. Arrivée sur les lieux, c’est ambiance Barbès ! Je me renseigne auprès d’un groupe d’autochtones qui se prélassent en terrasse : c’est pareil tous les samedis ? « C’est jour de foire aujourd’hui ! Y a un peu plus de monde que d’habitude. Mais globalement, oui, c’est pareil tous les samedis ! ». Je pars voir de plus près le contenu des étals. Il y a plus de producteurs locaux que de revendeurs, ça fait plaisir. Mes yeux se régalent devant tous ces fromages au lait cru, ces belles miches de pain, ces montagnes de pots de miel, ces légumes tout juste sortis de terre, ces charcuteries paysannes. Je ne sais pas pourquoi, je suis soudain attirée par les photos de maisons en pierre d’une agence immobilière située sur le coin de la place. Je m’approche. What ? Je peux acheter une maison de 150m² avec un magnifique jardin au prix d’un studio parisien, avec en prime des vaches qui pètent, des forêts de châtaigniers, des voisins aimables, des petites villes vivantes, des villages calmes, et le TramTrain pour lier tour ça ? Adieu Paname, bonjour Bellac !
Texte : Isaline Lapetite
Illustration : Océane Maya Bocquet